Dans son livre Quand les profs aiment les élèves : psychologie de la relation éducative, Maël Virat, chercheur en psychologie à l’ENPJJ, écrit qu’en France, il existe un tabou culturel autour du lien et de l’engagement affectif des enseignants envers les élèves. Selon lui, un aspect de la culture de l’école française concerne le fait qu’un enseignant n’a pas à avoir d’émotions dans le cadre de son travail en classe. Il s’appuie sur de nombreuses études internationales et méta analyse (citées dans son livre) pour affirmer que la relation affective enseignant-élève a des effets positifs sur l’apprentissage. En ce sens, la relation affective est au service de la transmission des savoirs et il est erroné de vouloir les opposer.
Contrairement à ce que l’on entend régulièrement dans les institutions éducatives, lorsque des élèves s’attachent à leur professeur ou lorsqu’un enseignant aime ses élèves, cela ne leur fait aucun mal, bien au contraire. La relation à l’enseignant peut être source de sécurité affective et favoriser les apprentissages et le développement psychosocial.
Maël Virat
Les aspirations fondamentales des enfants et adolescents : être aimés
L’amour compassionnel
Maël Virat écrit que les enjeux que révèle l’analyse des relations entre enseignants et élèves nous renseignent sur les aspirations fondamentales des enfants et des adolescents et même plus globalement des humains, quel que soit leur âge, leur sexe ou leur condition. Les besoins affectifs sont clés dans le développement humain : besoin d’amour, de se sentir accepté, de se sentir exister, de se sentir apprécié, de partager des émotions positives avec les autres (optimisme, gratitude, joie, enthousiasme…), d’être l’objet de bienveillance et d’encouragement.
Les propos de Maël Virat cherchent à donner à réfléchir à un besoin très particulier qui conditionne le développement humain tout au long de la vie : le besoin d’être aimé.
Pour grandir, pour progresser, pour explorer et découvrir, pour surmonter les obstacles ou les épreuves, pour tout ce qui fait que l’on se sent vivant, être aimé apparaît indispensable.
Maël Virat
Maël Virat utilise l’expression “amour compassionnel” pour désigner la forme d’amour qui est, selon lui, synonyme de développement et de réalisation. Cette expression est synonyme de amour altruiste ou inconditionnel.
La recherche d’amour, auprès des parents mais pas que
Il est largement admis que les bébés, les enfants, et les adolescents recherchent cette forme d’amour compassionnel auprès de leurs parents et de leur famille. C’est tout l’enjeu de la théorie de l’attachement.
Pourtant, le fait de dire que les élèves (qui sont bel et bien des jeunes humains) puissent tirer profit de l’amour d’autres personnes, telles que leurs enseignants ou autres éducateurs, heurte un tabou culturel et a tendance à être combattue, moquée, récriée à travers des réactions indignées.
Pourtant, cette idée n’a rien de très étonnant. Maël Virat rappelle qu’une analyse des motivations humaines indique qu’une part importante de notre vie est orientée vers la recherche de proximité avec des personnes en mesure de nous aimer de la sorte.
Cette recherche, qu’elle soit exprimée ou non, qu’elle soit consciente ou non, est au cœur des relations amicales et des relations amoureuses. Elle est également présente dans bien d’autres contextes, y compris professionnels.
Maël Virat
L’importance de l’amour inconditionnel (et de toutes les sources possibles auxquelles s’y abreuver)
Quand un enfant (ou un adulte) ne rencontre pas cet amour inconditionnel, compassionnel, il peut chercher des sources plus ou moins bien intentionnées (ex : sectes, manipulateurs en tout genre).
Se sentir aimé pour ce qu’on se sent réellement être, se sentir aimé en dépit de ses faiblesses et ses imperfections, parfois même en dépit de ses fautes, est ce qui aide le plus à avancer et à exister pleinement.
On imagine aisément les efforts déployés pour obtenir cet amour et vérifier si besoin est qu’il est bien présent. Nombre d’interactions sociales peuvent être regardées sous le prisme de la recherche et du don d’amour, forcément dépendants des types de relations, des situations où elles s’incarnent et des normes sociales qui les régulent.
Maël Virat
Catherine Gueguen, pédiatre et formatrice-intervenante dans les écoles maternelles, rejoint Maël Virat sur ce point : elle estime que le mode de relation enseigant.e- élève exerce une influence importante sur les enfants. Quand cette relation est de qualité, elle a des effets positifs sur la réussite des élèves ainsi que sur leur santé mentale (stress, résilience, bien-être émotionnel, confiance en soi).
L’enfant ou l’adolescent rencontrant des difficultés et se sentant anxieux, triste ou en colère pourra – au lieu de se dévaloriser en se disant “Je suis nul d’être angoissé, accablé, énervé” – reprendre confiance en lui s’il trouve auprès de l’enseignant quelqu’un capable de l’écouter et de le comprendre sans jugement ni humiliation, condition indispensable pour apprendre. – Catherine Gueguen (Heureux d’apprendre à l’école : comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l’éducation)
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